La femme qui chante - critiques

Je t’ai lu et vu dans le poste tout récemment ;-)
Naturel redoutable à LCR, tu étais PARFAIT!
Et lecture riche: ton livre m’est apparu comme une sorte de patchwork dont le motif se dessine de plus en plus précisément au fil de la lecture, plus net encore si on recule de quelques mètres pour mieux le voir. Alors tout apparaît clair, structuré, ancré. Simple et profond.
En tout cas bravo, ce livre que j’ai lu pendant les vacances me reste longuement en tête…


Ariane Le Fort, écrivaine.

Le Soir 10 08 2019

Etre une femme ***

Avec « La femme qui chante », Jacques Richard trace poétiquement le destin âpre d’une femme, et de toutes les femmes.

JEAN-CLAUDE VANTROYEN


L ’exergue du roman est de Truman Capote : « Qu’est-ce que la plupart des vies sinon une série d’épisodes incomplets ? » Jacques Richard construit son livre comme le dit l’auteur de De sang-froid : des tranches de vie issues de l’enfance comme de la vie adulte. Un puzzle qui ne donne pas une image complète mais qui suffit à imaginer, comprendre, dessiner la vie d’une femme.
Le roman est divisé en quatre sections : « La petite », « Solange », « Son fils », « C’est moi ». Et dedans, de courts chapitres, plus évocateurs que descriptifs, plus poétiques que réalistes. L’auteur parle de femmes mais il est là bien loin du Balzac d’Eugénie Grandet ou du Flaubert de Madame Bovary. Tout chez Jacques Richard est suggéré plutôt que dit, tout suscite plutôt que formule, tout fait appel à l’imagination du lecteur. Et si l’action est parfois moins immédiatement claire que chez ses illustres prédécesseurs, la prose de Jacques Richard possède la même force. La femme qui chante est un roman rude, âpre, trouble, puissant dédié à toutes les femmes à travers le dur portrait d’une seule, Solange, la soeur du narrateur.


Elle, c’est moi

« La femme donne, ma fille, elle se donne, l’homme prend. » Quand on entend cette phrase de la bouche de sa mère, comment peut-on se réaliser en tant qu’être humain ? Etre une femme, c’est violent, difficile, tragique parfois, Solange l’apprend très tôt. Etre soi, être mère, être amante, aimer tout simplement. Jacques Richard le montre tout en finesse et tout en poésie. Ses phrases sont ciselées, belles, fortes, la langue est inattendue : « La chambre gémit du gémissement des chambres où gisent les petites filles enlisées dans l’intranquillité du regard de leur mère. » Ou : « Les chansons disent la vérité encore mieux que les mensonges. »
Et l’écrivain n’élude rien. Ni le sexe, ni l’inceste, ni la honte, ni la mort, ni la folie, ni même le trouble du narrateur (Jacques Richard lui-même ?) qui, en fin de compte, brosse autant un portrait de lui-même que de sa soeur. Comme dit Scutenaire, cité en exergue : « Que tu dises vous, que tu dises lui, c’est toujours de toi que tu es occupé. »
Parce que l’identité est un espace mouvant. Et que le narrateur se définit via sa soeur, qui, elle, est déterminée par son rôle de fille, de mère, de soeur, de compagne, par ses absences, par ses limites, par son chant ou son mutisme musical, par son passé d’internat ou d’hôpital, par ses replis sur soi, par ses chaînes comme par ses désespérées tentatives de s’en sortir, d’être elle-même.


Un roman formidable de justesse et d’écriture. Juste un grand roman.


En attendant Nadeau, n°76 - 27 mars 2019


Portrait de femme

par Stéphanie de Saint Marc



Vie de femme ? roman sur les rapports de famille qui déterminent et qui lient ? Qu’est-ce que La femme qui chante, le dernier livre de Jacques Richard ? L’un et l’autre en réalité. Portrait en tout cas, hésitant et cru, portrait diffracté, tendu dans un tâtonnement permanent vers la recherche de l’évocation la plus juste, de la sensation la plus vraie, et dont se dégage l’image d’une femme en déséquilibre.


Jacques Richard, La femme qui chante. ONLIT éditions, 176 p., 16 €


La femme qui chante est Solange. Fille, mère, amante, sœur, c’est à travers tous ces rôles qu’elle se définit et qu’on la découvre. Sœur d’un narrateur en pointillé, sœur de l’auteur lui-même peut-être, réelle ou fictive, peu importe, elle est là devant nous à nous interroger, embarrassante et désirante, vivante et condamnée, abonnée à une misère qui s’attache à ses pas, perpétuellement hors cadre.


De la vie de Solange on apprend peu de chose dans le livre, seules quelques traces, quelques cailloux semés au fil des pages permettent de reconstituer, plus véritablement qu’un itinéraire, un climat, un tempo, et un répertoire de sensations.


L’enfance, d’abord, c’est la peau nue contre la dalle froide du dortoir, l’humiliation glacée, et puis le départ, l’avion : Solange dans les bras de sa mère quitte un pays – « ce pays d’hommes qui portent des mitraillettes » – pour un autre, la Belgique – « le pays gras ». Et, déjà, à cet âge, elle chante, elle chante cette petite comptine intime et informulée qui n’appartient qu’à elle (comme chacun a la sienne) et constitue sa zone d’intériorité et de liberté.


En Belgique, avec la mère, c’est l’atmosphère fétide, étouffée, du foyer : « Un ordinaire de danger, de plaisir et de peur. De honte. Le corps bleuissait dans le silence humide et le cœur avait froid. » La prégnance des sensations physiques, le lit partagé par Solange avec sa mère, le plaisir découvert auprès de son frère et dont elle ne tirera aucune honte mais affichera au contraire, plus tard, entre les bras des autres, une forme de fierté. Solange, vibrante et crâne, revendiquera avec force cette expérience et cet appétit : « Tu penses que je suis dégoutante parce que je ne renie pas ce que j’ai fait avec lui et tous les autres après ? Alors je te le redis. Je l’ai fait ! Et souvent. Et j’y pense encore. Il m’arrive d’en rêver la nuit ».


Aux côtés de la fille de Solange qui vient compléter une généalogie de femmes, il y a aussi le fils. Le fils duplice, le fils désaxé, enfermé, et finalement perdu, qui est un reproche et une culpabilité permanente, un miroir tendu où Solange se contemple sans fard.


La misère de Solange – sa solitude et son égarement – est sans doute sociale, on le devine par touches, mais pas seulement bien sûr. Elle a aussi pour nom la folie et la honte, l’atavisme, l’hôpital, le parloir et la chambre commune. Les dominations ancestrales et les tendresses équivoques. La cloche de plomb des promiscuités familiales, qui sont un ferment et un étau, entre aubaine et damnation. De cette misère, la jeune femme porte, en stigmates profonds, la laideur, mais aussi la beauté et une sorte de grandeur. Car chez Jacques Richard rien n’est jamais univoque, telle la honte – fondamentale chez lui – jamais étrangère au plaisir. La vérité, approchée à petits pas, est poursuivie avec une exigence quasi obsessionnelle, mais en acceptant de se tromper, quête indécise, faite d’éclats de lucidité et d’inévitables égarements, qui donne au roman des allures perpétuelles de tentative et d’ébauche.


Avec La femme qui chante, Jacques Richard poursuit cette exploration des frontières mouvantes de l’identité et cette auscultation des rapports de famille que réalisait déjà avec tant de profondeur son dernier roman, Le carré des Allemands. Journal d’un autre, où les liens entre un fils et son père, curieusement tissés d’absence et de transmission, étaient jetés sur le papier, crus, tortueux et nus. Ici encore, c’est l’auteur lui-même qu’on reconnaît en Solange, comme on le devinait dans le fils du Carré. Pour Jacques Richard, moi, c’est un peu l’autre, comme il en fait d’ailleurs l’aveu dans les dernières pages de ce livre, lui qui sait bien que le portrait est un miroir, reflet tout autant du modèle que de l’artiste.


Marqué par une forme d’inachèvement, complexe, trouble, selon le style de l’auteur, La femme qui chante est pourtant porteur d’un message fort et dénué d’ambiguïté, tout entier contenu dans une dédicace qui résonne comme un manifeste : « À mes deux filles, à mes cinq sœurs ». Les accents naturalistes du portrait qu’il ébauche n’empêchent pas Jacques Richard de faire de son texte une forme de plaidoyer, un encouragement intense adressé à Solange pour qu’elle se libère de ses entraves et brise des chaînes qui sont tout aussi intérieures qu’extérieures. Contre toute apparence, le roman apparaît ainsi comme un vrai roman féministe mais d’un féminisme qui s’interdit toujours de juger et de condamner. Il n’en est peut-être que plus juste et plus vrai.


Stéphanie de Saint Marc



Salon littéraire, 26 03 2019


Le chant de la si reine

Jean-Paul Gavard-Perret



Dans La femme qui chante Jacques Richard fait preuve d'une écriture précise et élégante. Celle d'un initié des mots et ce qu'ils peuvent faire lorsqu'ils sont au service d'une "cause" majeure : le récit. Il pénètre ici dans la densité de bien des ombres comme de celle des cinémas où la femme apprend que comme ses soeurs elle peut aimer à bout de souffle et qu'il existe dans les répliques d'un film tout ce que l'humain peut dire ou éprouver.


Pour autant chacun, ou plutôt ici chacune, écrit son scénario. Un film lent où tout le monde s'agite, un film d'action où les personnages traînent. Mais dans tous les cas, c'est le mâle qui commande. De la femme il attend ce qu'il veut. Et elle répond dans la quadrature d'un cercle vicieux et sans fin. Il y a pour la femme l'amour qui fascine et pour l'homme le désir qui tue.


L'auteur sent dès lors le besoin de (se) rassurer : son roman est pure invention et ses personnages imaginaires. Et c'est bien sûr le meilleur moyen de faire croître des rumeurs comme du chiendent. Bref Richard devrait être plus prudent... Mais qu'importe. Son roman est un vrai destin à la croisée du vrai et de faux, de l'autre et de l'un, là où un narrateur muet exprime sa vérité.


Chaque femme y est un poisson-chat qui se laisse pêcher. Par séquences, Jacques Richard crée un assemblage de scènes et de moments dans lequel le narrateur-auteur fait un beau portait de la femme qui chante, de la femme qui ment parfois - pour tenir. Et qui essaye d'embrasser l'homme dans "le miroir de son, enfance" car de fait, il n'en sort jamais.


Le hache du temps a beau en abattre les arbres, ils repoussent sans cesse. Et lorsque l'homme n'a plus assez de force pour faire ce que le temps ne fait pas - même s'il est délicat et n'entre pas tout botté dans le coeur des femmes mais les pantoufles à la main - il ne vend qu'une partie de sa vie à l'amour qu'il conjuge moins au présent et futur qu'au passé.

Bon appétit Mesdames !


Jean-Paul Gavard-Perret



Rha...

je l'ai commencé ce matin au réveil et il me reste encore quelques dizaines de pages à lire donc je n'ai pas encore le recul nécessaire mais ça me fait beaucoup penser à du théâtre. Le huit-clos serait le personnage central elle-même, peut-être. Ces discours rapportés entremêlés avec les dialogues sans ponctuation, les ellipses, les changements de narrateurs... Ça frôle la littérature expérimentale mais pour l'instant je suis séduite, j'ai le sourire aux lèvres en me disant qu'il sera bien ardu d'en parler sans dénaturer l'oeuvre 😉


Lucile POULAIN sur Instagram

Plaisir de lecture, immense, profond.


David Courier,

BX1




Le Carnet et les Instants - février 2019

Le chant du mensonge


Jacques RICHARD, La femme qui chante, ONLiT, 2019, 176 p., 16€ / ePub : 9€, ISBN : 978-2-87560-110-0


Il y a quelque chose de froid dans l’œuvre scripturale de Jacques Richard. Cette impression est d’autant plus déroutante que l’auteur n’hésite jamais à nous confronter à l’intériorité de ses personnages. Dans leur intimité crûment dévernie, ces derniers nous tiennent pourtant en respect, à l’extérieur. Ils restent hors de portée. Les mécanismes d’empathie, si confortables, ne s’enclenchent donc pas ; ce n’est pas le propos. On pourrait se croire à une représentation théâtrale : il y a des protagonistes, des scènes, des mono/dialogues, mais aussi une distance entre le public plongé dans l’obscurité silencieuse et les acteurs évoluant en actes et en paroles sur les planches. Mais la comparaison ne se pousse pas plus loin car rien n’est joué ni factice chez Richard. Et c’est peut-être cette authenticité nue qui déstabilise. Il est des choses qu’on préfère en effet ne pas (sa)voir : « Tout le monde sait qu’elles sont là, mais personne ne dit rien. Il ne faut pas tourner la tête de ce côté-là. Tant qu’on reste ici, ça va. »


C’est ce que fait la Petite, une fillette au creux du paganisme de son enfance s’écoulant dans un non-temps : le frisson bleu du carrelage du pensionnat, la stridence autoritaire du sifflet maternel, la maladie fiévreuse du ciel sur une plage, le fa musé « modulé sans fin en une mélopée continue », la rosée des fesses souillées par l’urine… autant d’impressions et de sensations donnant corps à la terre coloniale qui l’a vue naître. Déplacée ensuite dans un « pays de chocolat étalant son odeur ronde et molle », elle grandit, prend consistance et conscience d’elle, attend d’être une femme. Cela se passe dans un quartier pauvre où l’on se cogne contre les murs gris, s’adosse sur les cloisons humides. Où « chacun est un mensonge ». Où la chaleur se déniche auprès d’un frère dans « un ordinaire de danger, de plaisir et de peur. De honte », dans une relation réprouvée par les interdits moraux, l’inceste.


Puis, la Petite devient mère elle-même, et reste sœur, sans pour autant se sentir grande : « […] bien qu’elle n’ait plus rien de “la petite” qu’elle a été, elle se prend à penser que décidément, elle ne sera jamais adulte, cette sorte d’adulte-là. […] Que son corps seul la tirera lentement vers l’issue finale alors même qu’elle n’aura, si loin qu’elle se soit enfoncée dans le monde et en elle-même, presque rien vu, presque rien compris. » Dans le tram, derrière ses rideaux tirés, au milieu d’une couche partagée, face au drame, la substance de Solange s’échappe, tel de l’éther. Et pourtant, elle existe bel et bien, dans une révolte âpre et sourde, alimentée par une lassitude mécanique. « Ceci n’est pas de la poésie » pourrait orner chacune des pages de Richard tant celle-ci est l’ADN de sa prose. Par sa liberté textuelle, le rythme de ses phrases, le mouvement de ses images et son regard particulier, l’auteur-peintre exerce une nouvelle fois sur nous son pouvoir de fascination…


Samia Hammami


Plongée en apnée dans cet étrange roman, monologues de cerveaux. L'écriture est poétique, on se laisse bercer et Bim ! Tu te retrouves à écarquiller les yeux pour te demander si tu as bien compris... C'est très dur, glauque, mais la langue de Jacques Richard te scotche et tu lis le tout avidement.

Encore une étonnante incursion en terre littéraire belge. L'auteur sera présent à la Foire du livre vendredi en début de soirée.


cunegondedelahaute (Instagram)