Petit traître



Petit traître

















Jacques Richard au micro d’Edmond Morrel - Novembre 2013


Le Jury Rossel ne s’était pas trompé en retenant parmi les finalistes du dernier Rossel (2012) le Petit traître de Jacques Richard. Voici un livre qui allie et entrelace la poésie, la musique et la peinture pour donner naissance à une écriture lumineuse, et éclairer l’évocation d’une enfance prisonnière.

Ce bref récit évoque en chapitres courts les images d’une enfance algérienne passée dans un centre d’accueil. L’enfant prisonnier est placé face à l’incompréhension, l’injustice que lui inspire son internement. De l’autre côté de la grille, sa mère vient le regarder lorsque les intervalles entre les visites réglementées sont trop longs. Il a fallu à son auteur près d’un demi-siècle pour se décider à l’écrire et ainsi échapper à l’indicible. Mais aussi accéder à chacun d’entre nous.


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Francine Ghysen, Le Carnet et les Instants, mai-juin 2012


Avant tout, par-dessus tout, il y a les murs. Étouffants, oppressants, implacables. « En rang, à la promenade, on emporte les murs, on est habillé avec. » « Être derrière le mur, c’est se trouver devant et ce qui est derrière ne peut pas exister. Une matière qui sépare, du construit qui détruit. »

Les murs et la grille qui coupent les enfants de la vie au-dehors : les palmiers, les figuiers, les mimosas brûlés de soleil, le port, la mer, les gens qui vont et viennent en toute liberté sur les trottoirs et ne savent rien de ce monde clos, pension qui tient de la prison, où un petit garçon tente de trouver un sens à ses jours. Entre la classe, le réfectoire, les jeux dans la cour, le dortoir rose où sont cantonnés les petits qui mouillent encore leurs draps ; les brimades du surveillant Fernand, la violence des enfants qui se liguent parfois tous contre un, prenant sur ce souffre-douleur leur revanche de gosses abandonnés.

Alors, il s’invente des rêves, se raconte des mensonges, petit traître qui cherche à s’échapper d’un quotidien aride, mais devine qu’au contraire « Il faut cesser d’espérer pour pouvoir continuer. Il faut s’habituer. À tout. À tout ce qui est ici, à tout ce qu’on fait ici. S’habituer […] au mal de chaque jour. »

Même les visites de la mère, tant attendues, guettées, sont un tourment autant qu’un bonheur. Parce qu’elles sont trop courtes et qu’on scrute anxieusement le cadran de sa montre : « C’est quand la grande aiguille sera arrivée où, que tu vas partir ? » Parce que les mots tendres, les gestes doux ne sont pas de mise ici : on ne parle plus la même langue, on ne parvient pas à se rejoindre.

Le deuxième livre de Jacques Richard (après La plage d’Oran, l’an 2010) renoue avec son enfance algérienne. Récit âpre, poignant, qui cerne par brèves séquences le vide affectif, l’absence béante qu’endure un enfant, ses questions muettes, ses peurs, son désarroi. « - Ton père, il est où ? Il voulait plus de toi ? Des fois c’est comme ça, ils nous veulent, et puis ils nous veulent plus. Même si on n’a pas fait quelque chose. Et alors on est mis ici. »

Ce père qui court le monde, traquant la vie qu’il faut saisir à bras-le-corps, dans l’immédiat, à même la terre, affirme-t-il, et pas dans les mots, qui sont « des peaux mortes ». Pour lui, « écrire ça ne sert qu’à garder, conserver, se souvenir, se protéger. Mettre la vie dans les livres, c’est comme mettre l’argent, ce qu’on a, dans un coffre, ça ne sert à rien, à personne, et quand on veut s’en servir, apprendre à s’en servir, il est trop tard, ça n’a plus cours, la vie est passée, partie. »

Ne pas croire aux livres. Ne pas se consoler dans les rêves. Et pourtant, comment traverser ce désert, ce manque de tout, sans imaginer qu’un jour, ils ne seront plus qu’un cauchemar dont on se réveillera dans son vrai lit, à la maison, bercé par les bruits rassurants de la mère dans la cuisine ? Des images trop belles, qui s’effacent sous les larmes.

« Les sanglots des enfants font moins de bruit que l’eau qui joue dans les galets. » Mais ce bruit sourd, lancinant, d’une mémoire à vif, nous transperce le cœur.



Pierre Maury, Le Soir, décembre 2012

Petit Traître

Le retour à Oran

Les mots crissent sous les dents comme des grains de sable, et blessent de la même manière. L’enfant est retenu avec d’autres derrière « la grille ». Pension ou prison ? Même la mère ne peut le voir sinon aux jours prévus et encore. Dehors, il y a la guerre ou ce qui y ressemble. Cette guerre sournoise et les paysages secs évoquent l’Algérie sans jamais la nommer jusqu’à la dernière page où surgit tout à coup la ville d’Oran. Les brimades viennent des adultes mais aussi des enfants ; on souffre d’une violence qui semble presque naturelle et qui n’est pas moins douloureuse pour autant. La poésie de l’écriture n’est pas là pour dire le ciel, à moins qu’il ne soit d’un bleu qui crie avec la consistance de la peinture.



Prix Franz de Wever 2012

de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

Extrait de l'argumentaire du jury

L’émotion est ce qui porte cet ouvrage, sans sentimentalisme, mais poignant par sa manière de vriller la solitude telle qu’elle se ressent dans le plus jeune âge, hyper-senisible et paralysé par l’impossibilité  de porter soi-même remède à son sort. Jacques Richard est aussi musicien, et plasticien : son sens du rythme, du rapport des formes viennent-ils de là ? Le fait est que l’impact de ce texte, qui ne recherche jamais l’effet, mais ne laisse pas indemne  pour autant, est prégnant.



L'avis des lecteurs

Hier j’ai acheté puis lu ton livre. J’en suis sortie bouleversée et je l’ai relu sur le champ.


Je suis dans la lecture des dernières pages de ton "Petit Traître" et ne peux faire d'autre commentaire que de dire que ce livre me prend aux tripes ... Très très fort ! Je te félicite pour ce magnifique, bien que très dur, morceau de littérature.

 


Je suis certaine que beaucoup de lecteurs ne trouveront pas les mots pour te traduire l'impact ressenti au fil de la découverte de "La plage d'Oran" et de "Petit traitre", un peu comme Ariane Lefort, d'ailleurs...

 


Vous méritez toute la reconnaissance possible pour votre talent mais aussi votre combat quotidien contre la médiocrité.

 


Je ne sais pas quel est l'état d'esprit aujourd'hui, mais je tiens quand même à te dire que je trouve magnifique d'avoir été sélectionné pour le Rossel et que Pierre Mertens que j'ai eu l'occasion d'interviewer hier, m'a dit texto à ton propos: "Jacques Richard: un don poétique complètement inné". Je tenais à t'adresser le compliment, qui te revient.